Chips crevettes

C’est une toute petite dame asiatique, aux cheveux gris, emmitouflée dans sa doudoune. Elle triture bruyamment son paquet presque vide. Elle enfonce la main jusqu’au poignet dans un paquet de chips à la crevette. Elle lèche les miettes sur ses doigts gras et salés, qu’elle replonge au fond du sachet. Puis, ne trouvant plus rien, elle fourre son nez dans le sac, dans un grand bruit de plastique froissé. Enfin, d’un geste appliqué, elle l’aplatit, le plie en quatre et s’époussette un peu. Elle attrape sa canne et descend du RER D, Gare du Nord.

Liftée

Elle se tient très droite, dans sa jupe à pois. Elle a une frange de jeune fille et un air un peu écarquillé. Ses yeux sont trop grands sous des paupières trop lisses. Son menton bosselé et sa bouche lippue lui donnent l’air de bouder en permanence.

Les vacances

Une rame bondée sur la ligne 7. Ils sont quatre, le père, la mère et les deux filles. L’adolescente panique. Elle tire frénétiquement la poignée de sa valise coincée entre les portes qui se referment. Son père l’engueule. Pull orange vif et visage congestionné, il charrie aussi une grosse valise bleue à roulettes. La mère, encombrée d’un sac vert Harrod’s, traîne son barda. D’un coup d’oeil, elle balaie la rame. Manque la cadette. La petite, couettes au vent et ciré vert-pomme, est à la traîne. Elle monte par une autre porte, cherche ses parents. Elle se fraie un chemin jusqu’à eux dans la rame bondée, à grands coups de sac à dos rose. “On part en vacances, on part en vacances” chantonne-t-elle. Gare de l’Est, le tourbillon coloré de la famille Fenouillard bouscule tout le monde et descend.

Le violoniste

Courbé en deux sur son violon, un tout petit vieillard au teint rouge joue un air guilleret. Les grincements de son instrument couvrent à peine ceux du métro. Il porte une chemise à carreaux bleu pétrole et un gilet noir, un pantalon à rayures et de fines lunettes dorées. A la fin de son air, il louvoie péniblement dans la rame surpeuplée. Toujours plié en deux, tête baissée, un gobelet de café vide à la main.

Touristes

Un couple, petite vingtaine et fort accent marseillais, examine un plan de Paris. Lui, défaitiste :” Qu’est-ce qu’on peut faire aujourd’hui ? Montmartre ? S’il fait pas beau, ça vaut pas le coup”. Il désigne le plan “Et là, dans ce coin, y a que ça à voir ?” Elle : “Y a la Tour Eiffel, le Trocadéro, le Champ de Mars, les Champs Elysées, le Louvre…”

La voix

“Scusez derannch”, susurre-t-elle dans son micro, juste avant d’entamer une mélopée plaintive réverbérée par son ampli rafistolé. Les voyageurs sourient, surpris du son à la tristesse incongrue, jailli d’une toute petite dame au visage sombre.

L’aveugle

Un grand monsieur à barbe grise avance précautionneusement dans la rame, tâtonnant avec sa canne blanche. Un homme lui attrape le bras, l’emmène d’autorité vers les sièges. Tout le monde s’écarte, un type se lève. “Vous voulez vous asseoir ?” “Mais non, je veux descendre !” réplique vivement l’aveugle. Demi-tour, marche-arrière, le signal retentit. Des âmes zélées empoignent l’homme pour le conduire fissa vers la sortie, juste avant que les portes ne se referment.

L’homme triste

Une parka marron un peu sale souligne ses épaules voûtées. Sa chemise blanche est froissée. Les yeux un peu tombant, il regarde dans le vague. Assis côté couloir, le menton posé dans la paume de sa main, il dodeline doucement au rythme du métro. Deux rides profondes cernent sa bouche.