La prière

Longue tresse, peau sombre, un blouson gris enfilé sur un sari bon marché. Elle a attendu un bon moment avant de trouver une place assise. Elle a posé son gros sac à dos noir sur ses genoux et le serre contre elle. Elle cache dans ses mains un chapelet aux perles noires brillantes, qu’elle égrène en bougeant faiblement ses lèvres. Elle ferme un peu les yeux par moment. Puis les rouvre et continue sa litanie muette. Doucement bercée par le métro, elle prie. Ballottée de gauche et de droite, elle s’assoupit. Le mouvement de sa tête qui tombe sur le côté la réveille en sursaut plusieurs fois. Elle finit par s’endormir pour de bon et se repose contre la vitre. Ses yeux sont comme deux demies lunes brunes frangées de cils noirs.

Sexe et amour

Elle est entrée un peu en catastrophe dans la rame. Comme si elle allait tomber et se rattrapait de justesse. Elle s’est précipitée vers un strapontin et s’est assise lourdement avec une sorte de soulagement. Puis elle a levé la tête vers le plan de la ligne, a plissé ses yeux myopes trop maquillés, grossis par les verres épais de ses lunettes. Elle pouvait avoir dans les soixante dix ans et portait le cheveu peroxydé et mis en plis. Elle a sorti d’un sac plastique Yves Rocher un gros bouquin qu’elle s’est mise à lire avec détermination. « Sexe, amour, fantasmes : ce que veulent les hommes. »

La cigarette

L’homme a la soixantaine, le regard qui passe par-dessus ses lunettes en écailles. Sort de la poche intérieure de sa parka un paquet de tabac à rouler, le pose sur sa sacoche, bien à plat sur ses genoux. Il ouvre le paquet, en sort une petite touffe de tabac roux. Il l’étale sur une feuille de papier cigarette, jusqu’à en faire un petit boudin, et commence à le rouler. Comme il y en a trop, il en enlève un peu. Puis entreprend de séparer les fils du tabac sur toute la longueur du boudin. Il le triture ainsi quelques minutes. Alors il roule avec dextérité le papier autour du tabac jusqu’à ce qu’il se referme, en gardant le majeur en l’air. Puis il le porte à ses lèvres et le lèche, en regardant par-dessus ses lunettes, son front tout plissé. A chaque bout de la cigarette, un peu de tabac dépasse. Il le coupe avec ses doigts sans ongles, jaunis au bout. Il la met dans sa bouche, range le papier dans le sachet à tabac et le sachet dans la poche intérieure de son blouson. Il reprend sa clope entre le pouce et l’index et attend sa station.

La chute

De jolis petits souliers à talons, décorées d’un damier jaune et noir. Des chevilles fines et des mollets un peu épais gainés dans un collant noir. Un trou béant orne le genou gauche. La peau blanche affleure sous le collant déchiré, une tache de sang au milieu. La petite jupe marron et le manteau beige sont intacts. Des cheveux noirs ondulés à peine désordonnés encadrent un visage poupon. Elle pleure comme une petite fille et tamponne ses yeux avec un mouchoir. Elle serre contre elle un grand sac à main noir. De temps en temps, elle regarde la paume de ses mains écorchées et les tapote doucement. Station Madeleine, elle descend et s’éloigne en boitillant.

La fille au sac rouge

Elle a un grand sac plastique rouge des Galeries Lafayette sur les genoux. Des yeux bleu pâle et des cheveux blonds filasses. Ses deux jambes, dans des collants à la blancheur agressive, émergent du sac. Ecartées, obscènes. Sa jupe est remontée haut et chiffonnée sous le sac. On voit ses cuisses. Elle ne semble pas s’en apercevoir. Tripote le sac rouge avec ses doigts, en laisse un traîner dedans. Elle appuie sa tête contre la vitre graisseuse. L’air absent et fatigué. Ses jambes, enserrées dans leur emballage blafard semblent phosphorescentes et aimantent le regard.

Les nippons tristes

Ligne 4 à Montparnasse. Un jeune couple d’asiatiques est assis sur des strapontins. Des Japonais. Elle a des chaussettes rose bonbon et sort d’un sac en plastique L’Etranger de Camus en VF. Elle commence à lire avec une application obstinée. S’arrête, note un truc sur un calepin, vérifie dans un dico de poche. Son compagnon porte une écharpe bleu pâle et sue aussi sur un chef-d’oeuvre de la littérature française. De temps en temps ils échangent quelques réflexions le visage grave. Ils ont l’air de s’ennuyer beaucoup et de trouver la vie pas drôle du tout.

La fille qui se maquille

Elle monte, s’assoit sur un strapontin et extrait de son sac un petit nécessaire à maquillage. Ses cils croulent déjà sous le mascara, mais elle se lance tout de même dans un acrobatique replâtrage. Tout le monde la zyeute en douce tandis qu’elle se dessine des yeux de biche dans son microscopique miroir couvert de poudre. On voit son oeil ripoliné se refléter dedans. Le métro la ballotte, mais d’une main sûre, sans baver, sans déborder, sans même se crever l’oeil, elle beurdoie. Clac, elle referme le nécessaire à maquillage, le glisse dans son sac et descend à Volontaires.

La lettre

Ses jambes traînent dans le passage. Un voyageur bute contre ses pieds, s’excuse. Lui, ne tourne pas la tête, ne détourne pas son regard fixe. Cheveux gris, frisés, yeux bleus, teint bronzé. Un bel homme. Il tient à deux mains une lettre de plusieurs pages, écrite sur du papier bleu. Lit une phrase, puis la repose sur ses genoux. La reprend, parcourt de nouveau les lignes qui le bouleversent, s’arrête sur une phrase « je m’égare ». Comme s’il avait du mal à comprendre. Notre Dame des Champs, il descend.