La jonquille

Ils se tiennent serrés l’un contre l’autre, au milieu de la foule compacte de sortie des bureaux. Tous les voyageurs de la rame sont vêtus de gris, de noirs, de marron. Ca sent les vêtements gorgés de pluie, la transpiration. Elle a niché sa tête contre l’épaule de son homme. Elle porte un manteau rouge. Ses ongles sont peints en rouge aussi. Elle tient à la main une jonquille.

Les mains

Elle a fait levier sur les poignées de la poussette pour soulever les roulettes et est venue tout droit se caler contre les portes du fond. Cheveux serrés dans une courte queue de cheval, corps très sec qui flotte dans un jean’s et un t-shirt gris. Ses avant-bras et ses mains, qu’elle tient contre elle, semblent lui avoir été greffés tant ils sont épais, forts et rouges. Dans sa poussette, la petite s’énerve, bat l’air avec ses jambes potelées pour attirer l’attention de sa mère. La femme s’accroupit, et avec ses énormes pognes d’ouvrière, commence à chatouiller la petite. D’abord timidement. Puis, voyant comme elle rit et comme elle gigote, lui guiliguilite le ventre avec entrain. La petite, se tortille d’aise, essaie en vain d’échapper aux délicieuses chatouilles, la tête en arrière pour mieux rire à pleine gorge.

L’ivrogne

Il est monté en titubant, à Réaumur Sébastopol. Il a agrippé d’une pogne rouge, la barre verticale. Une bière dans une main, un sac Franprix dans l’autre, sa casquette bien enfoncée sur la tête. Une intense odeur d’alcool a envahi le wagon. Mal assuré sur ses jambes grêles, serrées dans un pantalon de cuir, il a entrepris de poser son sac de courses. Le sac à dos qu’il avait en équilibre sur une épaule, a glissé le long de son bras, le déséquilibrant, et a fini sur le sol, à côté du sac de courses. Il a lâché la barre métallique, changé la bière de main, et s’est penché pour caler le sac à provisions entre ses jambes, le sac à dos contre la barre. Château Landon, la porte s’est ouverte, des gens sont montés, d’autres sont descendus, bousculant sa fragile composition. Un paquet de pain de mie s’est échappé du sac. Il s’est baissé de nouveau, a posé sa bière par terre, a attrapé le pain de mie, l’a remis dans le sac, a rapproché les poignées de plastique, a lâché le sac, repris sa bière et doucement, s’est redressé. Gare de l’Est, nouvel arrêt, toute la manœuvre est à recommencer.

Le couple

Ils sont assis côte à côte sur une banquette, presque imbriqués. Elle, volumineuse, déborde à droite dans le passage et à gauche sur lui, son frêle petit mari serré contre la fenêtre. Elle a les joues cloquées et les yeux mi-clos d’un gros crapaud qui digère. Le cheveu un peu rare sur le dessus du crâne, mais frisotté autour du front et qui finit en natte. Genoux ouverts, pieds écartés, mains péniblement jointes sur son ventre. Lui, coudes au corps, adopte une posture identique. Ses traits sont fins, ses cheveux très noirs. Il porte un pantalon verdâtre avec le pli du repassage. Elle est boudinée dans une veste marron, élimée aux poignets et au col. Un point rouge peint au milieu du front, juste au dessus de ses sourcils broussailleux qui se rejoignent presque. Lui creuse ses pattes d’oie à force de plisser les yeux et de froncer les sourcils. Ca lui donnent l’air infiniment soucieux. Il scrute les immeubles entre les stations Stalingrad et Jaurès en tripotant distraitement sa chevalière en or. Ballotés de concert par le roulis du métro, ils n’échangent pas une parole.

La raie

Elle est posée au milieu du crâne. Presque surnaturelle, tellement elle est raide. Raide et blanche. Elle prend sa source pile au sommet, et descend avec assurance jusqu’au front . Impressionnés par tant de maintien, les cheveux tombent de part et d’autre cette ligne de démarcation infranchissable sans épouser la pente du visage. D’une couleur indéfinissable mais qui tranche avec la clarté du sillon central. Juste assez gominés, pour avoir l’air gras. Coiffés avec soin, on pourrait presque compter les dents du peigne. Le type en dessous disparaît, complètement éclipsé par la forte personnalité de sa raie. Ecrasé et impuissant.

La belle fille

Quand elle est entrée dans le wagon, toutes les autres filles ont soudain paru quelconques et ratatinées. Elle a promené son regard de bel animal autour d’elle pour chercher une place. A effectué un tour gracieux autour de la barre de fer verticale. Epais cheveux frisés presque crépus, peau dorée. Et puis elle a jeté son dévolu sur un strapontin. A posé son minuscule fessier, serré dans un jean et croisé ses longues, longues jambes. J’ai eu beau me redresser, elle faisait toujours une bonne tête de plus que moi. Je me suis sentie très terne. Trop blanche, trop courte, trop tassée.

Le couple et l’enfant

L’enfant dort, affalé sur eux deux. Il porte la tête du petit sur ses genoux, qui a les pieds posés sur elle. L’enfant est blond et dort en tétant son biberon. Ils sont tous les deux habillés de vêtements noirs un peu délavés. Il n’est pas très bien rasé, a les cheveux longs sur la nuque, le teint brique des marins ou des aventuriers. Elle a des mains fines et très pâles, traversées de grosses veines. Ses cheveux blonds un peu ternes et filasse lui tombent le long des joues et s’arrêtent au dessus de son cou, à la peau presque transparente. Il décolle et recolle sans arrêt le velcro sur le short de l’enfant. Elle caresse les mollets rebondis du bébé. Elle est anglaise, lui français. Il lui parle tantôt en français, tantôt dans un anglais épouvantable. “Zere is a very good restaurant zere” lui montre t-il par la fenêtre du métro aérien. Elle acquiesce. Elle a une trace blanchâtre de vomi sur son épaule.

Pour la musique

Ils viennent de la voiture précédente. Lui porte une grosse sono d’une main, par sa poignée. Elle le suit. Elle porte de vieux escarpins blancs aux bouts dorés écaillés. Une robe bleue roi et une veste de survêtement. Le train démarre, il allume la sono. La musique envahit brutalement le wagon. Elle attaque une chanson langoureuse en anglais. Quelque chose qui dégouline. Elle monte dans les aigus. Il ne la regarde pas. La chanson terminée, elle passe entre les sièges en secouant sous le nez des voyageurs un gobelet en plastique rempli de petites pièces. Personne ne donne. Elle revient vers lui. Il l’engueule dans une langue d’un pays de l’est. Elle proteste avec vigueur. A Montparnasse, ils descendent et courent vers la voiture suivante. Ses chaussures un peu grandes claquent contre ses talons à chacun de ses pas. Le métro repart. On entend l’homme qui chante dans sa langue, une chanson triste.

La petite fille à la fleur

Assise sur la banquette, elle massacre tranquillement une rose. Elle commence par gratter le pistil avec son ongle. Et puis elle s’attaque aux pétales. Déjà, le sol est parsemé de feuilles. Elle sert la tige nue dans sa petite main. Elle s’applique sur son pétale, le déchiquette et le jette par terre. Très absorbée par la destruction de sa fleur, la fillette ne prend pas la peine de jeter un regard à sa mère qui l’appelle depuis son strapontin, derrière. Ses cheveux, retenus par un serre-tête découvrent son petit front buté. Distraite, elle passe sur ses lèvres un pétale chiffonné, comme pour les rosir. “Vanessa ! Viens là !” La mère s’énerve. Vanessa ne bronche pas et dépiaute un nouveau pétale. Soudain lassée, elle lève la tête, saute de la banquette et va rejoindre sa mère. La rose mutilée, pendouille tête en bas dans sa menotte.

La femme à l’oreille dentelle

Elle se tient droite dans son boubou jaune et marron. Un turban dans les cheveux, assorti au tissu de la robe. Collée à la vitre, elle regarde fixement au dehors. La robe au décolleté carré, dans le dos, laisse apparaître la peau brillante, brune et douce. Son visage est grêlé de traces de boutons. Le contour de ses oreilles, jusqu’en haut, est ciselé, découpé, déchiqueté, comme si on lui avait arraché une à une des dizaines de boucles d’oreilles. Ses lobes mutilés pendent tristement comme la crête d’un coq.