Perdue

Elle occupe un siège et demi. Enorme et avachie, jambes écartées, elle est enveloppée dans une jupe en jean, porte des tong taille 45 et deux t-shirt superposés. Elle sert contre elle un gros sac rose fluo avec des dauphins bleus et des poissons jaunes qui doit contenir tout ce qu’elle possède. Ses cheveux sont tondus. Elle dégage une odeur de transpiration et d’urine. Elle se redresse et demande à une dame, dans le carré d’à côté, si elle est antillaise- la dame acquiesce- et si elle connait un restaurant africain à Château-Rouge. La dame n’en connait pas. Et un hôtel ? Non plus. La grosse femme se radosse, l’air las. “Je ne sais même pas où je vais dormir ce soir”. Elle tient deux pièces de monnaie, trois tickets de métro et un briquet. Elle joue avec, fait chauffer les pièces sur la flamme.
Entrent en trombe dans la rame deux jeunes garçons excités avec une sono grésillante. “Pour la mousik” braillent-ils. Ils commencent à se trémousser sur fond de rap américain. Puis très vite, passent dans le couloir pour quêter. L’un d’eux tend sous le nez de la femme sa petite boîte à monnaie, la secoue avec insistance. Elle regarde ses deux pièces. 70 centimes. Elle fait mine de vouloir chercher dans son sac. Hésite. Considère l’argent et le jette vite dans l’écuelle du jeune homme qui remercie à peine et se sauve. Elle recommence à triturer son briquet et brûle un ticket de métro.

Les bijoux

Ligne 7. Elle se tient un peu raide sur son siège bleu taggué. Tailleur pied de poule au col en velours brun, escarpin et indéfrisable chic et peroxydée. Elle porte un bracelet et une montre dorés, une bague à chaque doigt, avec de gros cailloux dessus. Amétiste, saphir, rubis. Elle lance un regard rapide à ses voisins. Puis, très discrètement, elle fait pivoter les bagues autour de son doigt pour dissimuler les pierres.